L'orage aux aurores – le tumulte dans les veines qui gronde de son tonnerre mal contenu. Roulement lourds et menaçants à tous les pas – le ciel est clair mais mes veines bouillonnent de marées hautes et de torrents débridés. Les vagues de mes turbulences s'échouent sur les récifs de mes amertumes – lancent, dans tout l'avant-bras, des douleurs résiduelles de heurts portés à l'encontre des briques rouges du pavillon où ont frappé, aux premières heures, des foudres invisibles.
Qu'il aille se faire foutre, putain, et j'adresse au ciel des regards noirs que de toute façon mon géniteur ne croise pas. Qu'ils se battent pour les honneurs, moi je continuerai de cracher dans toutes les offrandes – ça fait longtemps de toute façon qu'à l'Olympe on ne me regarde plus.

Sohel en murmures fielleux au bord des lèvres – le nom comme une obsession, litanie, malédiction – c'est pour Enoch que je suis parti plutôt que de continuer, que j'ai préféré le silence mauvais aux éclats brûlants. Mais c'est la tourmente au dedans et ça ne diminue pas, ça ne diminue plus, cette fois la colère ne reflue pas. Qu'importent les premières beautés du ciel ou la tranquillité du camp qui n'a pas encore ouvert les yeux – croiser les miens je le crois serait de toute façon désastreux.
Ça brûle,
ça brûle,
ça brûle et c'est tout ce qui reste – bile à la gorge, poings serrés et tremblements fébriles d'accès de violence qui n'attendent que de heurter,
profaner des jolies choses et les rendre un peu plus laides
(un peu plus comme moi et moins comme eux,
qui ont tout et m'en laissent si peu).

Triste hasard, superbe malchance, c'est toi à l'orée des bois ; c'est toi magnifique dans le halo du jour qui se lève, toi divine dans les parures chaudes d'un matin qui s'éveille à peine. Regrettable aléa, somptueuse fatalité – ce sont tes prunelles auxquelles les miennes se heurtent et à mes propres démons que ton âme se condamne.
Rage, colère, colère, violence, haine, fureur, violence, fièvre, fièvre fièvre,

« T'as bien choisi ton jour pour pourrir mes horizons, toi. »

(et tout ce qui déborde comme un poison souille et contamine).

Tout en toi vomit déjà l'hostilité – et si tes mots accusent, tes yeux, eux, sont un anathème ; et tu pourrais être Église, autel, puissante et divine et je serais le malheureux pêcheur qui n'espère aucune miséricorde et pas plus d'absolution. Le blasphème est ma naissance, mon existence une impiété digne d'un grand tragique – et, pour l'injure à ton nom, je ne demanderai jamais pardon.

« T'as qu'à dégager, princesse, si côtoyer la plèbe te file tant d'urticaire que ça. » Mais la violence nous tient en otage et toi, tu n'es pas de ceux qui fuient la colère mais de ceux qui l'embrassent – de ceux qu'elle embrase. Fils d'Arès n'est qu'un titre ; toi tu as la même audace et le putride de tes veines n'est pas moins vain que le mien.
Ton irrévérence est la même – et de toi, à moi, c'est comme ça que la foudre frappe toujours deux fois au même endroit. « J'espère que tu as pris tes cachets, ce matin, je ne suis pas qualifiée pour gérer les délires d'un handicapé. » Coup de tonnerre – amertume à mes lèvres et bille à la gorge ; demain on se moquera peut-être ensemble du vermeil maudit de mes veines mais l'aube d'aujourd'hui n'est pas sous le même ciel (le soleil brille mais les cœurs sont de pierre et de glace). « Laisse-moi deviner, t'as sorti la même chose à Dorothy y'a trois jours, ou t'as reformulé ? » Et vos éclats que je ne connais qu'en filigrane – qui ne me regardent pas – j'en fais des armes mauvaises et insensées.
Demain, peut-être que je regretterai.

Un pas, deux pas, trois – proximité qui s'impose et l'étau des fureurs qui se resserre sur nos gorges. Le menton levé et moi non plus, je ne baisserai pas les yeux sous le poison de ton ire mesurée. « C'est quoi le problème, papa t'a pas dit bon matin avant l'école aujourd'hui ? »

Des grondements de tonnerre qui ne te sont pas destinés – c'est tout ce que j'ai à t'offrir. Des dorures fanées d'histoires qui auraient pu être différentes, si j'avais été un peu moins moi – un peu moins ça.
Un peu moins rage et violence ; un peu moins colère et démence.
Un peu moins…
Un peu moins ce que ce monde avait décidé que je serais, et un peu plus comme les gens comme toi.

Les poings serrés, les ongles entament ces paumes déjà trop abîmées de lutter contre des instincts qui l'emporteront toujours – parce que c'est à l'image de la démesure qu'on m'a façonné.

« La ferme... »

Un frisson le long de l'échine – comme une brûlure qui se répand depuis l'intérieur ; un grand froid, un grand vide, un tremblement fébrile,
et tout se bouscule, Ludmila, je comprends pas et
tu sais, ç'aurait pu être n'importe qui, c'est pas simplement toi,

c'est moi, moi, juste moi
et je m'en voudrai sans doute quand le ciel se dégagera.

« LA FERME ! »

Un deux trois pas en avant, la main tendue pour te heurter, bousculer, l'écorce d'un arbre dans ton dos et putain, Ludmila,
si tu savais comme au nom de rien je crève de te faire mal.

« Ferme. ta putain. de gueule. »

Une main folle qui cherche emprise sur la peau pâle d'une gorge et des ongles qui quémandent des chairs à blesser,
le sang à mes tempes qui appelle à voir couler le tien – un rire amer, acide, dément qui appelle à te voir tomber.

Un jour, peut-être que ce sera différent.