Et nos amours sont des poisons que nous consommons avec le plaisir de l’éternité.

Mouvements mécaniques de la main qui secouait la paille, distribuant ses bienveillances sur ce sol en équilibre, un tas pour un tas. Les voix plaintives s'élevaient mais Dorothy n’était pas d’humeur à y répondre. Sa voix se logeait au fond de sa gorge telle une vie paresseuse, car les pensées étaient ailleurs.

Dorothy pensait à la mer, à ses femmes comme ses mères qui lui attrapaient sa taille pour lui professer des amours, des rires, des jurons. Dorothy pensait que c’était à ça que ressemblait l’éternité et que dans ces caresses abondantes, elle oublierait cette faim qui consumait ses entrailles.

Le vent secouait ses cheveux, nettoyant sans délicatesse sa nuque trempée. Les mots des chevaux semblait être une masse dense qu’elle ne parvenait pas à éviter, des petites remarques à la tirade sur la condition scandaleuse de la literie. Elle lève la main et celle-ci retombe, sans bienveillance.

Dorothy n’était pas heureuse, Dorothy manquait le monde qui avait été le sien.

Même si les siens n'avaient jamais été en mer, mais sur Terre.

Flânant le museau de l’un d’entre eux, des bruits se faisaient entendre dans le coin de son antre. Visage qui se lève et une ombre fluide qui dansait vers elle. Elle semblait la reconnaître du coin de son oeil rouge, ce corps mouvant.

Noah, son cousin. Et avant que l’association des sens l’emporte, il lui parle montrant son écran criard de son et de lumière sur son visage.

-Ouais… Pourquoi pas, attends.

S’appuyant contre l’un des piliers de l’écurie, tirant son téléphone, elle prit une longue respiration tandis que ses doigts cliquaient sur l’application.

-Et bien, il y en un qui n’a vraiment pas chômé.

Rire sincère, pensées néfastes qui dansent le blasphème

-Je suis prête, si j’ai le shiny, crois moi bien que tu auras des photos pendant 50 ans.

Ses doigts tapotent dans un rythme étrange cet écran bien trop connu. Exaspération qui se lisse sur ses traits usés par l’effort, Dorothy ne pensait à rien face à Noah. Le fils d’Arès lui avait toujours semblé d’une bien étrange compagnie, hésitant entre la colère et l’amitié mais sans que jamais son cœur ne se fixe définitivement sur une émotion donnée. Qu’il en soit ainsi - pensait Dorothy - car elle était de la même race.

Noah était l’un des rares de son sang à ne lui provoquer aucune réaction viscérale, aucune passion qui détruirait lunes et étoiles juste cette douce contemplation d’une amitié consommée. Peut-être que leurs disputes étaient légendaires, mais Dorothy n’y pensait rien. Elle l’acceptait encore et encore dans son coeur, peu importe comment il entaillait son chemin.

-P’tit vantard.

Sifflement entre ses dents tandis que la petite créature sur son écran jouait sa vie pour ses yeux désabusés. Un poids étrange sur ses épaules roulaient doucement entre ses omoplates tandis que son regard bien malencontreux croise le sien derrière les ombres jetées des ailes. Doux hennissement qui sonnait comme un “bonne nuit”  pendant que le temps tournait doucement à l'orange crépusculaire. La lumière diffuse embaumait doucement la main de Noah d’une volonté tendre tandis qu’il pointe ce morceau de foin coincé dans ses cheveux. Tirant doucement sans lâcher son téléphone, un sourire de remerciement se dresse sur ses lèvres

-Merci Noah, c’est terrible comment j’attire la paille.

Innocente et inconsciente de la tension qui se nouait au sein de cette relation terrible, elle se mordit les lèvres, les pensées ailleurs.

-Alors… Il me semble que je suis condamnée à ce lieu infâme pendant le restant de ma scolarité. Mais c’est pas si grave, t’sais. Je les aime bien, les pégases sont bien souvent calmes et ça me donne une excuse pour rester genre...seule ?

Le géant sur son écran poussait des cris discordants tandis que les attaques s'enchaînent sur ce tas de pixel. Cependant, son attention s’était bien vite envolée sur le petit être debout devant elle. Dorothy n’avait jamais fuit la confrontation face à qui que ce soit et pourtant l’étrange danse des regards de Noah la mettait mal à l’aise. Ce geste lui avait semblé avorté, détruit dans l’oeuf tandis que ses mots bien qu’amicaux lui semblaient emprunt d’un sentiment inconnu.

-Fera bientôt nuit, Noah. Pas peur de rencontrer des Magirêves sauvages ? Puis de toutes façon, tu joues beaucoup non ?

Puis musique  de félicitations, son vivant d’une réussite artificielle et un Tiplouf un peu plus clair que prévu fit son apparition. Glapissement de joie tandis que la Dorothy se pressait contre celui qui était son cousin, brandissant son écran tel un trophée devant ses yeux d’azur :

-Regarde ! Je te l’ai dis ! Je l’ai eu !

Et ce rire qu’elle affichait pouvait emporter des armées.