Il semble s’animer d’une étrange vie, lui qui ne pouvait pas avoir l’air fatigué ou triste. Elle ne pouvait pas s’empêcher d’éprouver une sorte de jalousie tapie dans ses entrailles pour cette force de vie qu’il semblait promouvoir sans le moindre trouble.

Il était fort, bien plus qu’elle. Elle faisait obéir les flots et les chevaux, domptait terre et mer sous son joug irritable et sa douleur comme maîtresse. Lui vivait avec la simplicité des innocents, le combat et la puissance étaient ses seules épouses. Peut-être pour ça qu’elle restait, qu’elle ne lui offrait jamais le mépris et la violence de ses cris mais plutôt la malicieuse vérité des poings et des manettes. Elle n’était pas parfaite, mais dans les yeux de Sohel, elle était elle. Sans sang, sans saleté, sans rien.

Claquant la porte du four graisseux, un large sourire se dessinait tandis qu’elle enfournait la pizza déjà prête sur le grille qu’on avait encore oublié de nettoyer.

-Oh, je t’en prie. Tu sais très bien que ta victoire dépend de si je me sens assez GRACIEUSE pour te donner ça.

Appuyant ses mains contre les plaques, son dos plaqué contre le four et la malice dansait dans ses yeux de sang, la perspective d’une soirée simple lui était tout aussi miraculeuse qu’une rivière dans le désert.

-Mais, vu que grand seigneur que tu es, tu m’as donné le choix. Je vais prendre DMC3. Bloody Palace, on bosse ensemble. Celui qui choppe le plus de point a gagné, si on meurt une fois, c’est 1000 pompes. Et bien sûr le jeu continue.

Se propulsant de la cuisine pour atterir sur l’un des coussins, produisant un petit bruit étouffé, elle a fait le courant d’air, petit démon qu’elle était.

-Sinon tu te ramènes ? Et au passage, allume la console stp, psk je suis trop bien lààà.

Soupir exagéré, enfant gâtée qui se cache derrière cette volupté de chevelure. Elle faisait sa princesse de pacotille, riant d’elle même face à un Sohel qui allait être l’acteur et le spectateur de cette nuit.

Bras levé qui intercepte la manette sans aucune pensée autre que ce sourire mutin qui se grave a même son visage cruel, elle veut lui faire regretter, regretter de la provoquer ainsi sur SON territoire. Dorothy était ce requin qui tournait dans les eaux peu profondes, la gueule entrouverte à la recherche de ce défi qui lui donnerait un peu plus de la vie qu’elle a perdue.

-écoute, t’es debout, j’étais assise. Faut penser énergie économisée Sohel, faut penser à la planète qu’on laissera à nos enfants VOYONS.

Comme si on allait en avoir.

Et le rire ponctue le défi qu’il lui propose comme une menace fantôme, elle n’avait guère envie de s’épuiser les muscles.

Puis il fut temps. La musique se fit résonner dans une surcondenscencation des sons dans cette pièce trop étroite pour l’épopée sur le point d’arrivée. Mais rien n’était plus inintéréssant pour Dorothy qui appuyait frénétiquement sur les boutons de cette manette défoncée. Elle connaissait les combos par coeur, les mouvements de son personnage semblaient aussi fluide que ce que ses longs entraînements lui permettaient.

Dorothy ne parlait plus, les mots semblaient s’être volatisés de son esprit tandis que ses doigts se battaient face à cet adversaire de sang et de pixel. Puis écran brutal, elle avait perdu.

Rire nerveux, elle roule ses épaules

-sinoon… tu es sûr pour les pompes ?

Fuyons, les rats quittent le navire.