Il était chaud Enoch. La musique dans les oreilles, il montait et descendait les escaliers de l'amphithéâtre au rythme d’Eye of the tiger soufflant longuement, ignorant les appels de ses mollets. Les étudiants n’allaient pas tarder à arriver pour le cours de grec ancien, il s’élança donc pour le point de rendez-vous. L’arène de combat. Enoch profitait de ce moment d’effort pour repenser à la situation. Il faisait le même rêve depuis plusieurs jours. Plusieurs semaines. A chaque fois, ça ne durait que cinq minutes. Il était là, face au Minotaure. La première fois, il avait chargé sans scrupule, et s’était fait empaler par les cornes du monstre. La nuit suivante, le fils d’Arès s’était fait écraser sous le poids de la bête. Depuis les échecs s’amoncellaient comme les soupirantes d’Appolon. Le Minotaure l’avait déchiré en deux. Puis lui avait arraché la tête. Lui avait ouvert le ventre …

Enoch sentait la sueur glisser le long de sa colonne. Et celle-ci n’était pas liée à l’exercice. Cette répétition troublante avait finit par creuser un trou dans son esprit au point qu’il était allé en parler à Sohel. Enoch devait défoncer le Minotaure, cette nuit ! Car si ces rêves étaient annonciateurs, il fallait qu’il puisse s’en sortir dans la vie réelle également. Il avait bien tenté d’appeler son père, à chaque fois qu’il reconnaissait le début du songe, mais sans succès. Le jeune Raeken avait donc fait appel à son grand-frère, figure paternelle de substitution. Ses pas l’avaient menés droit à l’arène. Enoch en profita pour reprendre sa respiration, les mains appuyées sur les genoux. Il devait dissiper le trouble avant qu’il ne l’empêche de se concentrer correctement pendant les cours.

▬ Ca va chier saleté de taureau tu vas finir en saucisson !

Des menaces plus qu’intimidante, pour sûr ! D’un regard circulaire, il finit par apercevoir Sohel, fidèle au rendez-vous comme toujours. Enoch se reprit, et élimina la distance qui les séparait.

▬ AH ! Te voila ! Bon j’ai réfléchi, au départ je pensais que changer mon apparence pourrait le déstabiliser, genre me faire un piercing ou un tatoo sur la joue, mais ça ne servira à rien s’il débarque dans le camp.

C’était stupide. Digne d’un môme de quatorze ans.

▬ Du coup … bon, t’as plus d’expérience que moi, alors vas-y dis-moi frangin, comment je lui fais sa fête cet empêcheur de tourner en rond ?

Se rendait-il compte qu’il allait morfler ? Que Sohel risquait de le briser, volontairement ou non. Littéralement. Qu’il allait en chier méchamment, que le reste de la journée risquait de se profiler à l’infirmerie, aux soins des satyres et des enfants d’Apollon ? Que nenni.

Ce n’était pas pour rien que Sohel était l’ainé, le chef. Frapper et frapper fort. Une évidence qui avait échappé à Enoch. Encore que dans le cas présent, il n’était pas certain que ça suffise. C’était un gros morceau quand même le Minotaure ! Pas pour rien qu’on avait construit tout un labyrinthe pour contenir le mastodonte ! Même pour un fils d’Arès, ce n’était pas une fioriture. Mais puisque Sohel confirmait que c’était suffisant … Enoch hocha vivement la tête, les lèvres serrées, plein de concentration. La pitié, ce n’était pas un souci : le jeune Raeken en ressentait assez peu, ses veines véhiculant du pur jus de colère concentrée, et ses muscles s’épaississant de soif de vaincre ! Par contre, la force, c’était à revoir. Il avait beau être en pleine croissance, et favorisé par son métabolisme, il restait un môme de quatorze ans.

Pas comme Sohel qui pétait la puissance et transpirait de l’ersatz d’énergie par tous les pores.  Et qui le fixe avec ses yeux ardents de bataille. Enoch frissonne, serre les épaules. Comment ça, qui est l’adversaire ?

▬ Ben, c’est le Minotaure.

C’est à peine si le fils d’Arès est intelligible. Et le dernier mot retombe dans le grave, comme oublié. C’est risqué de nommer les monstres pour les demi-dieux. Ça les gonfle en force, ça peut même les invoquer. Enoch frissonne, carrément pas serein. Heureusement, la présence de Sohel lui permet de ne pas virer au pâle, voir au transparent. Mais il jette tout de même un œil à gauche et à droite.

▬ Tu sais bien que ça fait plusieurs fois qu’il vient me prendre la tête en rêve ! Je ne sais pas si c’est un signe, mais dans tous les cas j’aimerai au moins pouvoir m’en débarrasser la nuit ! Mais les cornes c’est chiant, il est aussi bourrin …

Il se mord la lèvre.

▬ Bah il est aussi bourrin que toi, en fait. Et moi chui tout p’tit tout frêle.

Bon, il y a un peu d’exagération dans tout ça. Sohel est certes virulent et rentre dans le lard, mais de là à être un taureau magique … quant à sa propre carrure, Enoch n’est pas si petit, ni rachitique. Mais plus il regarde le corps de son grand-frère, plus il le compare à le sien, plus il se sent minuscule. En particulier quand Sohel le regarde ainsi, de dessus. De toute façon, les yeux d’Enoch sont plein de filtres. Dans sa tête, son frangin a des bras dignes d’Ajax. Et au moins 48 abdos. Et 158 triceps. Bref, il lui est minuscule, et le Minotaure va le prendre en apéro. Éventuellement Sohel le vengera. Ca y est, il est miné le fils d’Arès, tout découragé et tout mou.

Le sourire carnassier de Sohel, ça foutait toujours les chocottes à Enoch. Il était gentil son grand-frère. C’était une machine de guerre née. Un bon conseiller. Un excellent entraîneur. Mais aussi un grand malade. Si Enoch avait hérité d’un peu d’esprit stratégique, celui de Sohel se limitait la plupart du temps à “jvais t’éclater mocheté”. Et là, c’était à peu près ce que reflétait son visage.Taper fort taper fort … Enoch fronça les sourcils tout en exposant son bibi en mousse.

▬ C’est facile à dire ça, tu dois faire dans le mètre quatre-vingt, moi j’ai pas fini ma croissance je te signale !

Le fils d’Arès avait la chance d’avoir une prédisposition au combat, mais ça ne faisait pas tout. Il revoyait le Minotaure lui foutre une pichenette capable de lui décoller la tête du reste du corps. Enoch déglutit. L’idée de l’arme cependant ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd. C’était plus facile de combattre avec un petit outil ravageur. Et le gamin avait une préférence pour les lames, réutilisables, luisantes, propres … sauf qu’il n’avait à disposition que celles fournies par le camp, puisque Daddy Arès n’avait pas encore pris le temps de lui en offrir une. Soudain son ardeur reprit le dessus. Bien sûr qu’il était maître de ses songes !

▬ Ah mais grave ! J’ai qu’à imaginer que je suis toi et que papa m’a offert une arme qui déchire ! J’essaierai cette nuit !

La tête pleine de possibilités, Enoch se sentait déjà plus léger. Pas dit que les solutions apportées par Sohel soient miraculeuses, mais il fallait au moins y croire. Sa tête retomba sur son épaule, lourde. Comment ça “une chips” ? Il avait l’habitude qu’on le compare à du bacon oublié sur le feu, mais une chips … bop, ça devait être un code propre aux combattants. Sourcils froncés, dents serrées, Enoch se concentrait. Taper ? Ca il savait faire. Contre des gabarits de son âge, en tout cas. Si Enoch n’était pas une patate salée, son frère en revanche avait tout d’une asperge qui fait de la muscu ! Digne d’un super héros vert, il pourrait avoir sa propre BD : les Légumens, sauveurs des dieux ! Mais Enoch s’égarait. Il observa le fils d’Arès de haut en bas, avant de choisir de viser les jambes, histoire de le rabaisser un peu à son niveau.

Vivant la scène comme au ralenti, le gamin fixa tout son poids dans sa jambe gauche, avant d’envoyer un coup bien puissant dans le tibia de son frère.

▬ T’as raison, chui pas un pringles !

Et sans même chercher à voir si son coup avait porté ses fruits, il envoya valser son poing gauche vers l’endroit où était censé se trouver la tête de son frère. Il ne sû pas si c’était dû à l'adrénaline ou à un échec, mais il ne sentit pas le contact avec le crâne de Sohel. Aussitôt, le gamin reprit sa garde. C’était sûr, il allait morfler.

S’il rit Sohel, c’est parce qu’il est fier que son élève ait percé le mystère qu’il tentait de lui faire élucider. Oui oui c’est sûr, impossible qu’il se moque de son petit frère. Et puis de toute manière, impossible pour Enoch de se vexer : son coup a fait mouche. La fierté emplissant son visage, à aucun moment il ne se doute que tout est orchestré, que Sohel prend sur lui pour que le morveux atteigne bien sa cible. Hop, petits pas en arrière pour esquiver une éventuelle revanche. Enoch esquissa un sourire coincé entre la grimace et le masque de façade. Riposter ? Deux pas en arrière de plus. Il faudrait au moins ça si Sohel se décidait à lui rendre la pareille. Enoch déglutit. Il rigolait hein ?

▬ Eh oh, t’as la tête vachement dure toi donc tu modères tes ardeurs hein !

Oh la jolie tournure ! Il avait entendu une Aphrodite glisser ça à un Apollon, sans trop comprendre les tenants et les aboutissants. Mais il trouvait que ça allait bien dans le contexte. Sauf qu’apparemment le message n’était pas passé. Quatre pas, ce n’est pas suffisant. Quatre pas, ce n’est pas une distance de sécurité avec Sohel ; il venait de l’apprendre à ses dépens. Le souffle coupé, Enoch ne put empêcher son buste de partir en avant sous la pression exercée sur son estomac. Il en aurait pleuré. Et pourtant, le gamin aurait juré que Sohel avait retenu sa force. Le souffle coupé, il essaya de faire preuve de répartie.

▬ Au mieux ce que j’ai dans le ventre c’est mon petit dej’. Au pire c’est mon estomac. Idéalement j’aimerai conserver les deux.

Aïe. Ça fait mal. Mais comme l’attaque est la meilleure défense, et que le Minotaure lui trottait encore dans la tête … il chargea. Sans trop savoir pourquoi. Profitant d’être à demi plié sûrement, et à plus courte distance. Tel un taureau, Enoch fonça sur le toréador. Il sentait l’adrénaline pulser dans ses veines, ses muscles s’enflammer de rage. Il ne lui manquait plus que les cornes. Pour la suite, il n’avait pas réfléchi. Encore fallait-il qu’il parvienne à toucher sa cible.

▬ Chui pas une chips, CHUI UNE PATATE BALEZE !

Des propos décousus et vides de sens, mais ça le motivait Enoch. Encore heureux que les deux frangins n’en viennent qu’aux mains. Qu’advientrait-il avec des haches ...

Enoch n’était pas certain de la véracité des propos de Sohel. Tout est à sa place … ça reste à voir. D’autant que Sohel n’avait rien d’un fils d’Apollon : depuis quand était-il toubib ? Quoi qu’il en soit, si ses boyaux s’étaient déplacés ils n’avaient en rien entravés ses mouvements. La tête du morveux atterrit dans le ventre de Sohel, et il charge comme un possédé. Il y croit Enoch. Il serre les dents et il pousse. Ce serait plus appréciable si son aîné avait songé à conserver un minimum de gras devant ses abdos : ça pique les os du crâne ! Il va y arriver. Encore un peu et. Et ? Tiens, il pousse mais il recule, c’est bizarre. Enoch le remarque d’abord par la vue, ce qui fait légèrement planter son cerveau. Un peu comme être dans un bus dos à la route. Et puis il le sent : ses muscles ne tractent plus, ils encaissent. Et finalement … badaboum.

Le fils d’Arès avait vécu la scène au ralenti. Hop là, ses pieds avaient décollés du sol. Sa tête s’était promenée en arrière, histoire de voir à quoi ressemble le paysage à l’envers. Et il s’était senti passer cul par-dessus tête. Enoch avait une roulade, telle la célèbre poupée galipette. Peut-être aurait-il simplement dû tout lacher, et ne pas insister. Apparemment son acharnement lui avait filé de l’élan. Heureusement ses réflexes étaient plus prompts que son cerveau : ni une ni deux, Enoch se retrouva un genou à terre, le corps dans le bon sens.

▬ Wah.

Une grande éloquence pour ponctuer cet enchainement magnifique. Et totalement indésiré. Mais pas le temps de se satisfaire de ses talents de clown : bam la pichenette sur le front. Enoch ferme les paupières par réflexe et par surprise. Cette fois le geste de Sohel n’était pas douloureux, mais quelqu’un d’autre aurait pu le considérer comme humiliant. Pas Enoch.

▬ Eh oh tu me prends pour un fils d’Hypnos ? Bien sûr que j’ai encore de l’énergie ! Mais une baston à mains nues contre toi c’est pas équitable ! Grande asperge.

C’était nul. “Grande asperge”. Quelle inspiration ! Mais effectivement, Enoch se sentait désavantagé. Se plaindre était cependant assez pathétique : comme s’il pourrait user des mêmes arguments face à un monstre ! Mais le gamin d’Arès avait peut-être une idée derrière la tête. S’il était arrivé avec la trouille au ventre, maintenant il avait envie de s’amuser.

Bah oui qu’il veut une arme Enoch. Pourquoi pas ? Papounet ne se bat pas non-stop avec les poings comme un clodo, si ? Sohel se penche vers lui. Enoch frissonne. Il ne veut pas baisser les yeux. Il ne veut pas non plus perdre l’ardent désir de vengeance qui brille dans son regard. Mais putain il le sent pas. Son front lui envoie des signaux d’alertes, “MAYDAY ON VA ENCORE PRENDRE UN COUP DE BOULE”, mais non. La pression se relâche. Tel un daron dans un magasin de bonbons, Sohel lui laisse le choix. Il a cinq minutes pour choisir ses friandises préférées. Sauf qu’Enoch n’a aucune idée en stock. Il se redresse et court vers l’attirail à sa disposition.

Sa main se dirige vers un petit poignard, mais son geste se suspend. Contre le Minotaure ? Il devait l'occire, pas lui curer les dents ! Alors une grande lance ! Oui mais ça pèse une lance, c’est difficilement maniable pour un petit gabarit et son amplitude de mouvement est un avantage comme un inconvénient. Enoch fronce les sourcils et sert les dents. Putain, c’est pas évident !

▬ Ouais bah cinq minutes cpas facile. Faudrait que j’ai l’Egide et la lance de Trium !

Enoch a trop regardé la colère des Titans : difficile de posséder une arme qui n’existe pas ! Il souffle, il rouspette. Et puis finalement il gueule.

▬ ENFIN CA SERAIT QUAND MÊME PLUS SIMPLE SI ARES M’OFFRAIT UNE ARME À MOI AUSSI.

Oui parce que son papa Noël à lui il ne lui avait rien amené de ce genre là. Alors que certains de ses frères et sœurs avaient à minima reçus une dague qui se changeait en sifflet. Légèrement jaloux le morveux.

▬ Bon ok, j’ai choisi.

Une dague dans le pantalon. Une lance dans la main gauche. Un bouclier dans la main droite. Bah quoi, il a dit qu’il pouvait prendre “une” arme mais à aucun moment Sohel n’a interdit d’en prendre plus. Enoch se mit en position, le bouclier bien solide devant lui, dévoilant uniquement ses yeux, et sa lance prête à la charge.

▬ Contre le Minotaure, je commencerai par lui lancer la lance dans le bide pendant sa charge, histoire de lui rappeler qui est le patron, le gêner et le ralentir. Après le bouclier, c’est pour amortir sa charge sans me faire empaler si j’arrive pas à esquiver. Et la dague … c’est pour couper des tranches quand il sera moi ! Mais toi …

Enoch ne termina pas sa phrase. Il s’élança vers Sohel, bien décidé à lui en faire baver un minimum. Et contradictoirement à sa stratégie, il envoya valser son bouclier vers son frère, encore à bonne distance, avant de décrire un demi-cercle avec sa lance pour tenter de le déséquilibrer davantage. Avec un peu de chance, Sohel aurait le réflexe de rattraper le bouclier au vol, ou moins celui-ci l’aveuglerait ? Ou à défaut, le fils d’Arès le chopperait au vol pour l’asséner sur la tête vide de son petit frère.

Il est fier comme un paon Enoch. Sohel lui a fait un compliment. Il ne rajoute mentalement dans son cahier des compliments, au chapitre déjà chargé de Sohel. Pas qu’il lui en fait spécialement plus que les autres, mais ceux qui ne viennent pas de son frère ont vachement moins d’impact sur la mémoire d’Enoch. Et en même temps, il ne peut s’empêcher d’être déçu. C’était une bonne idée de le déséquilibrer. Et il y avait mis toute sa fougue. Pourtant à nouveau les sens et l’expérience de Sohel avaient triomphé. Loupé, again. Il souflfe Enoch, vidant complètement ses poumons de désapprobation. Mauvaise idée, car juste après son bouclier revient à l’expéditeur, compressant davantage sa respiration. Le fils d’Arès vole, encore.

Cette fois pas moyen de sauver la situation avec une pirouette, Enoch s’écrase de tout son long, la main gauche sur la poitrine, expirant un dernier râle dans le nuage de poussière. Aïe. Bon, il faut pourtant contre-attaquer. Sa lance est toujours dans sa main gauche, bien serrée entre ses doigts. Ça lui évite de verser une larme. Combien de côtes on peut se briser d’un coup ? Trente-deux mille c’est possible ? Enoch se redresse, la rage au ventre, presque la bave aux lèvres. Cette fois, plus de pitié !

▬ Ah tu veux jouer tête de pioche, PLUS DE PITIE LA CHIPS ELLE DEVIENT EPICEE

Quoi ? Sur ce cri de guerre sans aucun sens, Enoch charge à nouveau. Mais avant il puise dans ses réserves. Dans son psychique. Dans ses talents héréditaires. Malédiction d’arme : que ce bouclier pèse plus qu’un paquebot. Normalement l’objet devrait tomber à terre. Normalement Sohel ne devrait pas l’avoir lâché, têtu qu’il est. Hurlant tel un pirate enragé, Enoch fait à nouveau reculer sa lance, et lui donne un mouvement puissant en visant l’emplacement où devrait se situer la tête de son frère. Oui, la tête. Pour l'assommer. Y a plus de pitié on a dit.

▬ SUS AU SOHELNOTAURE !

Apparemment, Sohel avait peut-être cogné un peu trop fort la tête d’Enoch. Le fils d’Arès divaguait complet.

Et paf ça avait marché ! Ce coup de lance dans la gueule de Sohel s’était avéré jouissif ! Un juste retour des choses, après tout ce qu’Enoch avait encaissé aujourd’hui ! Même s’il se doutait bien qu’il allait à nouveau ramasser … Ce “bien” sonnait la fin de son existence. Le fils d’Arès voyait déjà les Parques actionner le ciseau qui couperait son fil de vie. Ca aura été bref. Pas la douleur, par contre. Car Enoch n’a pas eu le temps de se remettre en position. Il n’a pas eu le temps de parrer. Il n’a pas eu le temps de comprendre. Hop, nouveau vol plané en arrière, nouveau bleu sur le derrière. L’adversaire du Sohelnotaure est presque KO, ou en tout cas il ne sent plus rien. A part cette chaleur sur son visage, et le liquide qui coule sur sa peau. Il a le nez qui coule. Enoch ne comprend pas pourquoi. Son avant bras vient machinalement essuyer la morve rouge qui lui teinte la figure.

Du sang.

Et c’est le sien. Enoch n’en revient pas. Sohel lui aurait pété le nez ? A lui ? Son soit disant petit frère préféré ? Là, c’en est trop. D’autant que son aîné n’a même pas eu à utiliser ses pouvoirs, lui. Il est colère. Méchamment. Enoch se redresse, bien ancré sur ses jambes, la lance toujours serrée dans son poing.

▬ Mais t’es sérieux là ?

Rien de plus à ajouter. Pire que tout Enoch est vexé. Les dents serrées à s’en rompre la mâchoire, il n’arrive même plus à réfléchir.

▬ Jvais te cramer le cul tu m’as pété le nez enfoiré !

Aucune compassion, aucune retenue de son frère, ça en faisait beaucoup trop. Et sans crier gare, Enoch s’enflamma. Littéralement. Animé par sa rage le voilà qui flambe telle une torche humaine.

Pour s’éteindre aussitôt.

Intense moment de solitude. Pourquoi la vie lui en veut-elle à ce point ? Manquait-il de concentration ? A deux doigts de chialer de colère, le gamin ne réfléchit plus. Il charge bêtement tête la première, puisque de toute façon celle-ci a déjà bien mangé. D’un coup de pied il soulève le bouclier libéré de son entrave, et même allégé au passage, en espérant le foutre dans la gueule de Sohel. Et il balance des coups de lance à droite et à gauche, sans la moindre cohérence, sans la moindre stratégie. Il grogne, il écume presque.