tendresses immortellesAlizée & LudmilaLes nuits sans sommeil s'accumulaient et Ludmila en dettes perdait le compte des secondes. Les heures étaient des jours, les jours n'en étaient pas, aucune loi ne régissait le décompte. La lumière était un piètre repère quand on ne la regardait pas. En proie à son propre calvaire, celui de pensées obsédantes et d'une rancœur acide portée à soi, Ludmila habillée d'un haut en soie blanche et d'une jupe en laine noire, des hautes chaussettes et des mocassins cirés, tirée à quatre épingles et s'assurant que les cernes ne se voyaient pas, s'était présentée à la Grande Maison à l'orée du soir.
Elle en connaissait bien les couloirs, le pas était assuré, mais la voix l'était moins quand elle s'annonça.
« Alizée... ? »
Toquant à la porte pour accompagner son appel, elle attendit l'autorisation d'entrer, attrapa la poignée, s'invita poliment dans l'encadrement de la porte boisée. Elle salua respectueusement la nymphe qui occupait ses quartiers.
« J'espère ne pas t'importuner. »
Elle sembla hésiter et les mots restèrent pendus à ses lèvres quelques instants. Seule face à un silence qu'elle chercha à combler pour expliquer sa présence. Mais la honte était dure à assumer.
« Tu aurais un moment pour discuter ? »
Elle n'avait pas osé affronter son regard, accablée par sa propre volonté de reculer - abandonner ses idées noires et faire comme si elle les avait imaginées.
Messages : 29 Offrandes : 35 Date d'inscription : 21/04/2021 Avatar : Navier // Remarried empress Âge : Des millénaires Nature : Nymphe aurae Défaut fatal : La possessivité Rôle : Professeure de mythologies et connaissances antique
Début de soirée calme. Comme tous les soirs, Alizée travaillait, prostrée à son bureau bien ordonné, dans ses austères quartiers. Tout était parfaitement ordonné, et la décoration, d’un blanc immaculé, faisait cruellement ressortir le manque de fantaisies de maîtresse des lieux. Face à la fenêtre qui donnait sur le reste du camp, la nymphe profitait des derniers rayons de lumières naturelles pour écrire, rédiger, corriger, ordonner toute sorte de documents. Aucun bruit, aucun son ne se faisait entendre, si ce n’est le grattement de sa plume sur le papier.
Quelque chose finit cependant par rompre le silence ; on toquait à la porte. La nymphe se redressa brusquement, rangeant immédiatement sa plume et les documents sur lesquels elle travaillait dans l’un de ses innombrables tiroirs. C’était une voix qu’elle reconnaîtrait entre mille.
“ Ludmila ? Entrez, je vous prie.
A la vue de la jeune fille, instantanément, son regard s’attendrit. Alizée essayait de garder la posture droite et digne qu’était la sienne, mais, à la vue de celle qu’elle avait quasiment élevée, ne put s'empêcher de vaciller. Son cœur se serra, ressentant dans la voix de son interlocutrice de l’hésitation. Ce regard perdu qui ne pouvait que déchirer son cœur de mère.
- Non, ne vous en faites pas Ludmila, pour vous, je suis toujours disponible.
A ces paroles la nymphe lentement se leva pour épousseter sa robe et renouer son peignoir. Dans un geste intimiste, elle défit le solide et strict chignon qu’elle avait toute la journée arboré pour inviter sa très jeune invitée à prendre place dans le petit sofa gris, non loin de son bureau. Se dirigeant vers un semblant de coin cuisine qui donnait sur le reste de la pièce, Alizée enclencha sa petite bouilloire.
- Je peux vous préparer, si vous le désirez une infusion. J’ai de la camomille ou bien de la pivoine, si cela vous convient.
Le temps que l’eau ne finisse de chauffer la nymphe prit à son tour place dans le sofa de velours gris ; et, avant même que sa protégée n’eut le temps de lui répondre, ne put s'empêcher de demander :
- Que se passe-t-il Ludmila ? Je vous trouve, si je peux me permettre quelque peu…Elle hésita, un instantFébrile ce soir.
La nymphe marqua un temps d’arrêt, observant l’attitude de sa maîtresse, avant de se permettre de poser sur son épaule une main bienveillante. Un léger sourire se dessinant, elle fixait la jeune fille dans le blanc des yeux.
- Vous savez, vous pouvez tout me dire. S’il y a la moindre chose qui vous tracasse, je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour vous aider. Je le jure sur le Styx.
Alizée retira alors sa main, son regard se perdant dans le vide
tendresses immortellesAlizée & LudmilaEscomptant d'abord le rejet et l'appréhension car c'était le sort qu'elle se réservait à elle-même, Ludmila se brusqua d'une tendresse pourtant habituelle chez Alizée ; mais, comme à chaque fois, elle ne s'y attendait pas, et restait quelques secondes silencieuse pour remettre en place ses pensées en conséquences de la douceur avec laquelle elle l'accueillait en ses quartiers.
Elle hocha respectueusement la tête lorsqu'elle l'invita à s'asseoir dans le sofa et s'assura que sa jupe se plia correctement lorsqu'elle prit place.
« Pivoine sera très bien. »
Le dos droit et les mains posées sur ses jambes alignées, son regard suivit la grâce de l'Aurae au travers de son appartement, et elle papillonna des yeux au rythme de sa voix.
« Fébrile, tu dis ? »
Elle eut l'air pensive, mais ne contesta pas son jugement.
« Tu as sans doute raison. »
Mais les paroles rassurantes de Alizée avaient eu pour effet immédiat de dissiper ses doutes, et tout à coup ses préoccupations lui parurent anodines. Ludmila se sentit idiote, et baissa la tête une seconde à peine avant de la relever ; il s'agissait de rester fière en toutes circonstances, car elle portait un sang qui ne pourrait avoir honte trop longtemps.
« Lorsque je suis arrivée au camp, il y avait ces deux autres enfants. Dorothy et Otello. »
Enoncer leurs prénoms avait quelque chose de lourd en la compagnie de l'Aurae. Comme si elle devait avoir honte de les côtoyer ; ou pire, de les aimer - n'aurait jamais prononcé ces mots-là devant elle d'ailleurs.
« Parfois, quand je pense au clan, à eux, et à toutes ces divisions au sein du camp, entre l'honneur de Zeus et... »
Et à moi ; mais Ludmila se devait de ne pas être égoïste.
« Lorsque je pense à tout ça, il m'arrive de douter. Est-ce qu'on a raison de faire ce qu'on fait ? »
Les mots lui brûlaient la gorge.
« Je veux dire... Dorothy n'a rien fait de mal, pas vrai ? Elle n'a pas choisi de naître. J'ai parfois l'impression de condamner les mauvaises personnes. Et si la mauvaise personne qu'il fallait condamner c'était moi ? »
Tous ses muscles étaient tendus à lui en faire mal.
« J'essaie, de toutes mes forces, d'être une bonne fille pour mon Père. Je ne devrais pas douter de lui. Je ne doute pas de lui. Mais alors pourquoi ces sentiments m'habitent ? Pourquoi est-ce que... »
J'aime Dorothy et Otello ?
« Suis-je mauvaise si j'aime des mauvaises personnes ? »
