La colonie était pleine de vie en cette douce journée. La plupart des demi-dieux, des satyres et autres nymphes vaquaient ici et là à leurs occupations, créant bruits et activités un peu partout.

Rama n'aimait pas vraiment tout cela, parce que cela rendait plus difficile son isolement, à la fois volontaire et involontaire. Il s'était retranché une partie de la journée à l'intérieur du pavillon de sa mère, seul puisque ses frères et sœurs étaient partis à leur cours et entraînements quotidiens.

Cela ne l'empêchait pas cependant de se rendre compte de l'animation à l'extérieur, des gens qui passaient en discutant et riant, en planifiant leur journée avec entrain et excitation, à partager des moments avec leurs amis... Tout ce que Rama ne pouvait pas faire, et cela ne faisait que peser d'avantage sur sa propre solitude.

Il avait déjà imaginé ce que sa vie serait s'il avait été "normal". Aurait-il eu des amis ? Aurait-il pu sortir de ce pavillon sans recevoir de regard d'élaborateur et accusateur ? Aurait-il juste…
Il secoua un instant la tête pour chasser ses rêveries. Il savait par expérience que ce n'était jamais bon pour lui de partir sur ce terrain glissant, de rêver à une vie qu'il n'aura jamais.

L'isolement dans le pavillon dédié à sa mère commençait à se faire long et à lui peser aussi. Quitte à être seul, il préférait être dehors et s'occuper à quelque chose plutôt qu'à resté assis à observer le plan de tomate qui rampait le long du mur non loin. C'était la seule chose qui avait fait ces dernières heures. Il devait faire quelque chose, s'occuper les mains pour occuper son esprit et éviter de penser à ce qu'il ne devait pas penser.

Et puis, ses frères et sœurs n'allaient sans doute pas tarder à revenir, et Rama ne tenait pas à les croiser. Malgré le sang de Déméter qu'ils partageaient, il n'en restait pas moins qu'un Lekaménos maudit et il ne voulait pas que sa propre malédiction se répercute sur ceux de son sang, ou sur qui que ce soit en réalité.
Il avait assez de cicatrices pour savoir à quel point il était dangereux et c'était pour le mieux qu'il soit si seul.

Il avait fini par se lever, prenant sur lui pour sortir du pavillon et aller se trouver un coin où s'isoler à nouveau, à l'extérieur.

Il avait ses bons et ses mauvais jours, des jours où il n'était pas assailli constamment par le doute et la tristesse et des jours où le poids de sa propre mélancolie et de sa solitude le submergeait.
Aujourd'hui n'était pas un mauvais jour, mais ce n'était pas non plus un bon jour, sinon les regards des personnes qu'il croisa en traversant le centre de la colonie ne l'affecteraient pas aussi fortement.

Il ne stoppa sa marche calme mais rapide qu'une fois à l'écart de tous, mais déjà ses pensées se redirigeait vers un territoire qu'il avait essayé d'éviter encore et encore.
Il leva les yeux au ciel, observant un instant les nuages, essayant de penser à autre chose, à tout sauf à ses propres regrets et peines. Il ne voulait pas se morfondre à nouveau, pas tout de suite, mais il savait qu'il ne faisait que retarder l'inévitable quelque part.
Il ne pouvait fuir sa propre tristesse très longtemps et il finissait toujours par s'y replonger, sans même s'en rendre compte.

Ce fut une voix qui le ramena à la réalité, une voix qui le surprit.
Il tourna la tête vers la personne qui se rapprochait, une personne qu'il connaissait bien tout en restant une inconnue, une personne liée par le sang bien que tout deux ne semblaient pas vraiment ravie d'appartenir à une telle lignée.

Prudence… Que penser d'elle… Que penser d'une cousine partageant un sang maudit…

"Désolé..."

C'est tout ce qui s'échappa de ses lèvres, tel un petit murmure discret, à peine audible mais sincère. Il voyait bien les larmes brillantes dans les yeux de la demoiselle, et il savait bien que c'était de sa faute et cela le rendait coupable. Alors il s'excusait, pour l'ennuyer de sa présence et pour cette tristesse qu'il ne pouvait contrôler. Il ne leva même pas les yeux pour la regarder, préférant dévier son regard vide plutôt que devoir affronter son regard à elle.

Elle s'était avancée d'un pas, lui avait reculé. Il ne voulait pas l'affecter d'avantage avec ses propres pensées sombres. Il se préparait même à partir, à aller trouver un autre coin plus isolé encore pour ne plus ennuyer personne, pour vraiment s'isoler seul, lui et ses idées tristes et morbides.