Comme à son habitude, Enoch avait sauté au pied du lit avant le lever du jour. Il débordait d’une énergie sans fin, et était parti courir dans la forêt avant qu’elle ne soit assailli par tous ces cousins. Mais son trajet s’était écourté, le gamin étant trop exité pour traîner dans les bois. Aujourd’hui, c’était sa journée ! Pas besoin de consulter les oracles pour le deviner. Le message de Melana était clair et avait provoqué une montée d'adrénaline chez le môme. Il allait briller dans le noir !
Au comble de l’exaltation il avait dégagé la plupart de ses frères et sœurs des douches, afin de se tartiner de dop tartelette à la fraise. Hors de question de sentir mauvais dans le bâtiment des Hécate ! Les Arès avaient déjà suffisamment mauvaise réputation ! Ni une ni deux, n’attendant pas que ses mèches noires sèchent, il s’était faufilé en quête de Menala. Et il n’eut aucun mal à la trouver.

▬ Le futur ver luisant est arrivé !

Un ver à la carrure bien peu classique pour un insecte ! Enoch avait bien conscience que son souhait pouvait sembler stupide, mais il y tenait. Imaginez-le : un guerrier tellement puissant qu’il brille d’une aura rouge dans les ténèbres ! La classe ultime ! Sohel allait être vert de jalousie, mais sans luminescence. Quant à son paternel, il serait subjugué par tant d’ingéniosité ! Le fils d’Arès entra donc dans le bungalow, laissant son regard glisser ça et là dans la pièce. Plein d’entrain, il tapa dans ses mains, comme prêt à en découdre.

▬ Aller à l’attaque ! Dis-moi, que dois-je faire ? Me mettre la tête entre les jambes ? Faire des pompes ? Marcher sur les mains ? Je dois répéter une phrase particulière ? Faut que je signe une décharge ?

Minute papillon, laisse-lui au moins le temps d’en placer une ! Sautillant quasiment sur place, Enoch ne tenait plus. Aveugle de confiance, il n’attendait plus que l’action !

C’était curieux cette façon qu’avait Melana de se mordre les lèvres. Peut-être avait-elle la pression ? Ou était-ce dû à l’immense privilège de faire briller au sens propre un fils d’Arès ? En effet, son sort allait lui faire acquérir un grand prestige, Enoch comprenait le poids qui pesait sur les épaules frêles de la magicienne. Il choisit de ne pas aborder le sujet pour ne pas la troubler davantage, en gentleman qu’il était. Ses yeux se fixèrent sur la larme roulant sur la joue de la demoiselle, finissant par se poser des questions. Ce n’était pourtant pas le genre de Melana de céder ainsi à la panique. A moins qu’elle ne se moque ouvertement de lui ? Il n’eut pas le temps d’y réfléchir davantage, puisque la main de son aînée le rappela rudement à l’ordre.

Les mâchoires serrées, Enoch chercha la raison de ce coup brutal tout en se frottant vivement la tête pour tarir la douleur. Comme toujours, c’était un rappel à l’ordre. Ses professeurs l’avaient déjà qualifié de chien fou, peut-être s’était-il encore emballé ? Mais qu’y pouvait-il ? Après tout, l’un des symboles de son paternel n’était-il justement pas un canidé ? Il marmonna, un peu grognon et sa fougue à demi dissipée. Après tout, il fallait se plier aux ordres de sa cousine s’il souhaitait atteindre son objectif. Elle avait l’ascendant.

La question qui s’ensuivit lui parut d’une bêtise profonde.

▬ Bah … rouge évidemment !

Ça coulait de source ! Enoch ne l’avait pas précisé tant ça lui semblait logique. Heureusement que Melana avait posé la question : il s’imagina soudain luire d’une couleur mauve, ou carrément rose barbie. Des siècles d’isolement n’auraient jamais comblé une telle honte. Le fils d’Arès avait effectivement songé à l’éventualité décrite par sa cousine, à savoir les monstres.

▬ Les monstres c’est pas un problème, je me les fais ! Je suis du sang des guerriers les plus braves n’oublie pas ! Et puis c’est bien l’objectif, qu’on me voit. Imagine la tête d’Arès quand il me verra pourfendre tous mes ennemis ! Le jour il a des excuses pour me louper, mais la nuit si je brille …

C’était futile. Parfaitement minable. Une quête de reconnaissance de son paternel. Et pourtant Enoch n’en avait pas conscience. C’était tout aussi logique que briller d’une couleur rouge dans son esprit. Il se mit au garde à vous.

▬ Dis, ça va démanger ? Ou piquer ? ... Peu importe, prêt à suivre tes instructions cheffe !

Des fois qu’un peu de pommade puisse jouer en sa faveur ...

Non, Enoch n’avait pas forcément l’ambition de se battre la nuit. En réalité, il s’était simplement imaginé un tableau tout prêt de lui, avec une sorte de figure d’Arès le matant depuis un char de combat. Mais en toute logique, oui il devrait se battre. Sans quoi tout son plan tombait à l’eau. Heureusement que Melana était là pour donner un peu de contour à son objectif. Il hocha donc vigoureusement de la tête. Enoch devra aller voir Sayori après tout ça, histoire qu’elle l’aide à décaler son sommeil sur quelques heures seulement. Manquerait plus qu’il ne s’endorme en plein milieu d’un combat ! Adieu la gloire ! Quoi qu’avec un rouge bien vif, il aurait de quoi agresser ses pupilles et ne pas sombrer dans les bras de Morphée !

▬ Des boutons ?

Bon. Il avait déjà une peau digne d’un bacon trop cuit, si en plus on lui rajoutait des boutons … heureusement que le gamin d’Arès ne s’intéressait pas aux choses futiles de l’amour ! Parce qu’il partait sacrément dernier avec une apparence pareille et un bonus boutons. Luminescent ou pas, il manquerait cependant de classe. Bon, Arès ne devait pas spécialement s’attarder sur ce genre de choses, si ? Il pourrait passer outre.

▬ Ca va, je m’attendais à perdre un bras ou finir chauve ! Et si c’est des plaques je serai comme un cuirassé, trop stylé !

L’art et la manière de voir le positif dans le négatif. S’il en avait été capable, des flammes auraient brillés dans les yeux du gamin à ce moment-là. Son emballement se calma cependant presque aussitôt.

▬ Mais toi ça va pas être trop difficile ? En plus j’ai pas pensé à te demander si t’avais besoin de quelque chose de particulier. Pour le sort. Ou autre.

Il n’est pas ingrat, Enoch. A aucun moment il n’avait songé à un éventuel paiement, c’était le moment de poser les bases.

Enoch fit la moue. Comment ça “un jour” ? Enoch était déjà un grand fils d’Arès, non ? Bon, peut-être pas en taille, mais c’est pas nécessairement ce qui compte, si ? Le gamin ne se sentait pas comme une bleusaille. Et pourtant au fond, il savait que Melana avait raison. Il n’avait jamais reçu de prophétie. Ni de quête. Et il n’avait jamais mené de capture l’étendard ni diriger un bungalow. En soit ce dernier point lui convenait bien. Gérer ses frères et sœurs ne seraient pas de tout repos, et cette nomination signifierait sûrement le départ de Sohel … il frissonna à cette idée. Enoch se ragaillardi cependant. Après tout, Melana l’avait dit : il était sur la bonne voie. Et la sorcière avait de l’expérience, pour sûr !

Sans crier gare, sans la moindre douceur, il s’arracha une touffe de cheveux, en lâchant un grognement. Comme ça si Melana avait besoin de plusieurs échantillons, elle n’aurait plus qu’à se servir. Une larme au coin de l’oeil, Enoch lui tendit son présent peu commun.

▬ Ok les cheveux, c’est bon. Du piment … du piment j’en ai pas. Faut aller en piquer en cuisine ? Aux satyres ? Au magasin ?

Pourquoi son premier choix se portait-t-il sur le vol ? Le magasin aurait pourtant été le choix le plus logique. Quant au troisième ingrédient … Tout aussi subitement, le gamin s’élança à l’extérieur, prêt à guetter le moindre ver qui passerait. Accroupi au sol, Enoch réfléchit un court instant.

▬ … Mais les vers luisants ça vit que la nuit, nan ? Comment on fait pour trouver un ver luisant en plein jour ? Cpo évident quand même comme sort.

Peut-être devraient-ils d'abord se concentrer sur le piment ? L’affaire promettait d’être compliquée ...

Échanger des services … c’est bien beau ça, mais il l’aurait quand son sort pour briller dans le noir ? On rend service au premier gus. Pour ça il faut rendre service à un second illuminé. Bref, une chaîne sans fin. Alors que le vol, … bon tu piques un truc, MAIS tu peux remplacer par autre chose, ou éventuellement rendre l’objet après utilisation. On gagne du temps. Heureusement Melana a déjà gagné du temps. Normal, c’est la cheffe. Enoch se laisse patpat, tout admiratif. En plus ça atténue un peu la douleur des touffes arrachées. Les yeux brillants, il observe la demoiselle, admiratif.

▬ T’es. Trop. La. Boss.

Les poings serrés et la mine déterminée, il se ragaillardi.

▬ Nan t’as raison, chui grave déter ! On va briller en rouge, tel Arès !

Et enfin, le processus commence ! Au début Enoch garde ses distances, observant de loin. Mais il ne tient pas longtemps, cédant à la curiosité. Que faisait Melana avec ses cheveux ? A peine était-il arrivé à son niveau qu’elle lui réclamait des ingrédients. Ouah, il allait faire de la magie lui aussi. Au garde à vous, le fils d’Arès enregistre les informations, avant de partir comme une bombe vers l’étagère. Un bocal noir … il en saisit un premier. “Tissus” noir, pas tout noir. Il le repose précautionneusement. Le bon bocal est plus haut. Il peste. Enoch n’aime pas que l’univers lui rappelle qu’il n’a pas fini sa croissance. Attrapant une chaise au vol, il grimpe pour récupérer l’objet. La bestiole, check ! Et ensuite … c’était quoi ensuite ? Ah oui, le piment !

Concentré comme jamais pour ne pas briser le bocal, tout en cherchant l’étiquette, Enoch plisse les yeux. Celui ou celle qui a écrit ça aurait mérité de retourner à l’école primaire. Ou alors il est manchot. Puisqu’il peine à trouver le piment, Enoch y va au talent. Deux machins rouges. Deux de la même forme. C’est si rouge que ça un piment ? Bon. Plouf plouf, on prend les deux bocaux. Trois récipients dans les bras, le fils d’Arès revient à l’établi. Il pose avec difficulté le ver luisant. Poussant avec son front pour l’éloigner du bord.

▬ Je sais pas à quoi ça ressemble un piment.

Ca pouvait être assimilé à un légume, non ? L’un devait être un piment, l’autre un poivron nain. Son regard jonglait sur le bocal de gauche, puis celui de droite. Il en désigna un.

▬ Moi je dirai que c’est lui. Je peux mélanger ??

Mais y a-t-il seulement besoin de mélanger quelque chose ? Il est pire qu’un môme en cuisine Enoch !