Les mots se meurent dans cette nuit trop lourde, des secrets qu’on osera jamais dévoiler dans la douce candeur des bougies. Charléus se tenait là, poitrine serrée sans la moindre timidité, l’appréhension se faufilait dans ses esprits -serpent sifflant des mots abandonnés.

Sa main se levait et avec un simple frémissement, vient s’abattre sur le montant de pierre du temple. Immuable mort qui avait été prostitué en vie, il n’avait aucune mémoire de ce temple à l’époque du Dieu Pan. Il ne connaissait que des visages changeants hantant les lieux, des rires qu’on ne pourrait jamais relier à un visage. Le voilà désormais, monument parmi les monuments, ombres parmi les ténèbres, debout dans ce lieu saint et d’un ordinaire commun.

La lune baignait les bassins d’une lueur désincarnée tandis qu’une brise légère vient bercer les plantes d’une danse maternelle, et dans ce tableau silencieux se dresse la femme de ses pensées. Et dans ses yeux, il voit le passé.

Charléus s’avance pupilles dilatées, il est en extase de sa propre douleur. Il se rappelle de Charlotte quand il voit Euphydryas. Il se remémore de ses caresses et de ses promesses, Charlotte était la divinité de la nuit et les étoiles dans ses yeux étaient des éclats encore plus purs que ceux qui ornaient le ciel.  Euphydryas les avaient vus ces étoiles et l’éternelle vie que contenait ses mains et ses rêves.

Mais Euphydryas n’était qu’une illusion, elle ne pouvait pas être là. Les lèvres entrouvertes en un mot qu’il n’entendait pas ne pouvaient pas être une réalité. Ce coeur bien froid se mettait à battre d’une folle espérance, d’un désir si soudain.

-Euph..y?

Les mots mal déglutis tombent comme une pâte épaisse, dans sa bouche putride, mais elle était là. Le sort n’a pas été souillé par son intervention et un sourire dissimulé par son sempiternel masque se fit grandiose. Avançant de plusieurs foulées énergiques, il fut désormais à sa hauteur, profitant des odeurs qu’il pensait avoir depuis si longtemps perdu.

-Que fais-tu ici ? J’étais bien sûr de t’avoir vu dans le camp. Compte moi ravi de te revoir après tout ce temps.

Et la joie qui se lisait dans sa voix n’était pas aussi resplendissante qu’il l’aurait désiré, mais le bonheur était quelque chose de si doux.

Le passé avait toujours été cet enfant qui, accroché à sa taille, se cache dans les plis du manteau à la crainte d’un futur nouveau. Charléus n’avait jamais su exister sans ce passé, cet être qui le définissait lui plus qu’un autre. Dans les yeux rouge terre brûlée de son éternelle compagnonne, il arrivait à aimer ce passé pour tout ce qu’il lui avait offert.

Son âme n’existait plus dans ces ruines glorifiées qu’on nommait temple et corps, et pourtant, ce plaisir diffus était trop divin pour être le fruit d’un cerveau corrompu et morceau de gras.

Retirant son couvre-chef, offrant à la lune ses trop longs cheveux blancs, il semblait avoir eu une éternité depuis qu’il a entendu la voix de cette amie qui ne fut jamais oubliée. Il se rappelait de cette façon presque légère de prononcer des mots trop graves, cette lumière qui hantait ses yeux comme une lanterne jamais éteinte.

-Bénis soient Hadès et ses enfants.

Chuchotait doucement le visage tourné vers le sol, coffre avare du plus beau bijou de cette terre.

-Je les connais, je leur offre mon savoir.

Il n’arrive pas à se souvenir de leurs visages, il les fuit comme le chat fuit l’eau qui a brûlé ses pattes.

-Il y a une fille, Euphydryas. Il y a une fille et elle a son sourire.

Yeux fixés sur la lune, une pensée qui s’échappait sur ses lèvres brûlées

-Hadès doit avoir le plus merveilleux sourire du monde, si il peut le transmettre ainsi à ses descendants.

Fermant les yeux, il fuyait l’instant présent pour ne plus savoir à quel point ils étaient pathétique ensemble.

-Euphydryas, tu’as l’air encore plus jeune qu'à l'accoutumée.

Plaisanterie qui n’avait plus que le coup du café trop amer et oublié sur le comptoir, un songe d’un temps passé.