late nights in the middle of june (lio)

16/05/2021

Dans l’enveloppe intangible de la nuit, sous l’auspice timide d’une lune voilée et d’étoiles aux éclats fragiles, Loup, l’oeil cerné par l’insomnie et les membres engourdis par une torpeur dont il peine à se défaire, s’extirpe lentement des draps dans l’espoir de trouver refuge ailleurs. Sweat large glissé sur ses épaules, bas de survêtement nonchalamment enfilé, il laisse le pavillon derrière lui sans un bruit. L’air est frais sur ses pommettes hautes et il enfonce ses poings dans ses poches tandis qu’il foule à pas feutré les allées le séparant de sa destination.

Loup se demande si Lio dort déjà. Il se glisse à l’intérieur comme une ombre et, assez habile dans l’obscurité, rejoint sans trop de peine les quartiers du garçon. Il toque doucement, du dos de la main, sur le plat d’une poutre afin de signaler sa présence, et lorsque son meilleur ami semble y réagir, Loup s’affale à ses côtés. Tu dormais ? Il grogne, la voix enrouée par l’heure tardive - il n’a rien articulé depuis de longues heures, si longues qu’elles semblent presque une éternité au rythme indolent du sablier nocturne. Loup trouve toujours un peu de réconfort auprès de celui qui le connaît sans doute le mieux, et depuis le plus longtemps. Sa présence est un acquis dont il ne saurait se défaire - une seule année loin de lui avait semblé bien pénible.

Il ne mentionne pas l’insomnie, Lio a l’habitude, il est inutile d’en faire état. Il remarque tout à coup l’accoutrement du garçon et un ricanement lui échappe. C’est toi qui a ce pull. Je savais pas où il était passé. Il tire sur les élastiques du sweat et observe avec amusement l’encolure se resserrer autour du visage de Lio, avant de se laisser retomber sur le dos. Il souffle, observe le plafond un instant et songe qu’il n’a, ce soir, pas le souhait de laisser Lio l’endormir ou l’accompagner dans ses rêveries comme il sait si bien le faire ; il n’est pas si épuisé, ou peut-être l’est-il trop pour en avoir encore conscience. Alors, il se tortille un peu afin de s’installer plus confortablement quelque part entre les couvertures, les amas de coussins, et la frêle carrure de Lio. Vas-y bouge un peu, t’as pas besoin d’autant de place toi.

16/05/2021

late nights in the middle of juneS’il avait espéré cette nuit sombrer dans les bras de son père, quelque chose le maintient tristement éveillé. Lio fixe un plafond constellé de plastique fluorescent, étoiles et croissants de lune s’entremêlant dans une vision larmoyante, chargée de sommeil. Au manque, au vide — il s’abandonne. Les paupières étaient si lourdes que le coeur et, si le bruit et la présence tirent à son corps chétif un soubresaut fragile, ils n’en restent pas moins le signe impérieux d’un rôle qu’il avait à jouer ; aussi, docile — sans doute parce qu’une seule personne se permettait de frapper à sa porte, aussi tard, sans le prévenir — il agrippe la poignée et laisse ses traits s’illuminer à la vue du louveteau.

Loup, longtemps son complice, jamais vraiment son frère — ce qui les a toujours liés n’est ni la fraternité, ni la loyauté, mais bien l’amour tendre et familier qui ficellent des compagnons de moult guerres. Sur sa table de chevet gît, quasi oublié, quelque livre historique à outrance romancé, et ses bras s’enroulent autour de Loup avec l’aisance de l’habitude.
— Tu dormais ?
— Non. J’attendais quelque chose. Je crois que c’était toi. Au loin, une étoile brille rouge. Ses rais s’enroulent, semble-t-il, autour de leur auriculaire ; Lio l’accepte volontiers, se presse contre son dos pour dissimuler la candeur d’un sourire.

— Et toi, arrête de bouger. J’ai envie de te câliner, pas de me faire frapper. La voix n’est qu’un murmure taquin, la distincte fragrance de pomme apaisant le lionceau comme une berceuse. Espère pas non plus récupérer ton pull. Je te laisserai le porter quelques jours, quand il y aura plus que mon parfum dessus.

Le sommeil aurait pu venir alors, mais il peinait ; nul besoin de mots pour deviner que ça n’était pas non plus l’objectif de Loup. Aussi, plutôt que de l’enlacer, Lio s’écrase à moitié sur lui, synchronise leurs souffles en écoutant les palpitations — presque tangibles — d’un cœur sauvage.
— Ton cœur bat trop vite pour dormir. Les doigts naviguent, le visage pressé contre sa poitrine et les yeux rivés dans les siens. Main posée contre un pouls rapide, et sur ses lèvres germe un doux sourire, indolent mais pas fatigué. Et je veux pas dormir non plus. Hier, j’ai voyagé, et j’ai vu beaucoup de cauchemars. Il en a guéri certains, fui d’autres ; quand ses propres peurs s’y matérialisent, le craintif s’échappe vers quelques songes plus doux. Mais je t’ai pas trouvé. T’as pas dormi depuis combien de temps ?

L’insomnie est d’une cruauté impartiale. Pensif, Lio agrippe son téléphone, en braque la lampe-torche sur les étoiles de son plafond — les force à absorber la lumière artificielle, jusqu’à ce qu’elles brillent autant que les astres, dehors, qui peignent les traits du loup plus pâle que jamais. Dans un frisson frileux, il plonge ses deux mains sous le sweat de Loup, savoure la chaleur qu’il contient et la sensation, légèrement tremblante, de la peau sensible sous ses doigts.
— Réchauffe-moi.

16/05/2021

Son cœur bat trop vite pour dormir. Il bat au rythme des cacophonies intérieures qui bercent maladroitement son esprit lorsque perce le croissant de la lune ; il bat au rythme des dissonances qui, pénibles bien que coutumières, chassent si bien les ombres de ses nuits qu’elles en sont blanches. Il bat aussi, saurait-il seulement le dire, différemment lorsqu’il est ainsi lové auprès de Lio. La chaleureuse chamade qui le berce en cet instant n’a d’égal que le confort des nuits sans sommeil passées à ses côtés.

Il étouffe un rire quiet, tranquille, aux remarques du garçon. Il hume l’air, les draps et les couvertures sont imprégnés par l’odeur si familière de son compagnon ; en effet, il lui plairait de retrouver le confort de son pull lorsque ce parfum en aura teinté les mailles également. Ses sourcils pourtant se froncent doucement à la mention des cauchemars traversés par le valeureux navigateur. Ils se complètent curieusement, l’un et l’autre, comme deux pièces d’une même ruine antique, l’allure pourtant juvénile et indolente, ha ! pareils à des héros des temps anciens, ces compagnons se sont-ils jamais rencontrés lors d’une ou deux vies antérieures ? C’est la sensation qui saisit parfois Loup lorsqu’il constate la complicité qui les lie si tendrement et si fidèlement. J’ai dormi… dans une autre vie, j’ai l’impression. Mais toi, t'es pas fatigué des cauchemars des autres ? Il souffle doucement.

Ses pupilles s’égarent entre les points lumineux de la voie lactée artificielle qui les surplombe. Les étoiles sont chaleureuses ce soir. A l’injonction du garçon, et sous son pull ses mains qu’il devine glacées, il glisse un bras autour de ses épaules pour le nicher au plus près de lui, un genoux nonchalamment glissé entre ses jambes frêles. On est bientôt en été. Tu devrais pas être aussi froid, encore. Sous son menton, les mèches de Lio chatouillent sa peau.

Lio, raconte-moi un rêve qui ne m’appartient pas. Une histoire qui vient d’ailleurs, une légende oubliée, un conte interdit s’il le faut. Il murmure à voix si basse qu’on l’entend à peine, ses paroles pareilles à un vague grognement, presque une plainte animale entre ses babines indolentes. Ses doigts tracent machinalement des runes inconnues sur le dos de Lio, remontent jusqu’à sa nuque pour venir se loger à la naissance de sa chevelure. Il éprouve pour ce garçon ce qu’un enfant éprouve à l’encontre de l’écume des vagues et de la brûlure du jour lors du plus tendre des étés ; et comme on reconnaît l’océan à son odeur, le soleil à sa chaleur, il saurait reconnaître Lio à la seule singularité de sa présence à son côté.

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